Temps nouveaux que la modernité… Temps où l’esprit humain s’affranchit de l’allégeance aux lois immuables du cosmos et de Dieu lui-même, temps où projeté « du monde clos à l’univers infini », l’homme se sait ne devoir la vérité, désormais, qu’à lui-même… Animé d’une sourde « colère théologique », comme le dira Leo Strauss, comment concilier, dès lors, les produits d’une raison autonome avec l’allégeance à une tradition fondée sur le Livre ? Spinoza, voué à la construction de l’Etat moderne, préférera séparer vigoureusement Raison et Théologie – au prix d’une présentation un rien biaisée du judaïsme. Rosenzweig, après avoir failli enregistrer la défaite du judaïsme sur la scène intellectuelle et spirituelle de son époque, le reconstruira autour des catégories modernes de « l’existence » et de « l’expérience », exprimant à sa façon ce qu’il appellera le mouvement des juifs allemands « de la périphérie vers le centre ». Buber, intellectuel projeté vers tous les combats et nouveaux horizons de l’histoire juive au 20ème siècle – le sionisme entre autres, bâtit une œuvre protéiforme où les enseignements hassidiques trouvent à se réexprimer dans une philosophie du langage, où le « Je » et le « Tu » sont appelés à sauver le monde du totalitarisme du « il ». Trois époque-clés de l’histoire juive et du judaïsme, trois penseurs qui parlent encore à notre actualité, et nous disent que les pépites de la tradition peuvent à nouveau réenchanter l’empire froid, neutre, parfois brutal, du « fonctionnel » -- cet autre héritage de la modernité.
Enregistrement réalisé le 24 novembre 2020.