Les Voix de la Paix / Newsletter juin 2024 / Edito
Rappel du contexte : après les élections européennes du dimanche 9 juin 2024 où le rassemblement national est arrivé largement en tête avec plus de 31 % des suffrages exprimés, la dissolution décidée par le Président de la République a renvoyé les français aux urnes, avec la probabilité d’une large victoire du rassemblement national, et la forte probabilité que Jordan Bardella devienne premier ministre. On sait rétrospectivement qu’il n’en fut rien, mais ce texte a été écrit avant le premier tour des législatives du 30 juin (deuxième tour : 7 juillet), dans un climat de forte inquiétude.
Les Voix de la paix ne sont pas une association politique. A ce titre, nous n’avons à réagir ni systématiquement ni immédiatement aux soubresauts incessants du monde politique pour aiguiser, peaufiner constamment ce que l’on appelle une « position ».
Néanmoins ce sont biens sur des valeurs fortes qu’a été fondée notre association, des valeurs humaines, sociales et spirituelles dont les traductions politiques peuvent être nombreuses, mais dont le périmètre éthique n‘est pas non plus d’une extension infinie. Pour être clair, dans un vaste objectif et un champ d’actions cherchant à promouvoir la « paix », la paix sociale, et le dialogue entre les convictions, religieuses ou non, nous avons toujours compris implicitement que les mouvements, les pensées, les sensibilités extrêmes en étaient exclus.
Mais aujourd’hui, la situation politique se resserre et exige des choix drastiques. Dans les trois blocs qui se dessinent pour l’élection des 30 juin et 7 juillet prochains, deux incarnent, ou composent avec des sensibilités extrémistes : le Nouveau Front Populaire, où LFI impose sa main et ses thématiques, dont certaines au relents antisémites ; et le Rassemblement national, dont l’ADN, même s’il a évolué, ne peut absolument pas être dit purgé de son passé. Sans verser dans l’analyse politique, qui n’est pas notre objet, il sera peut-être intéressant ici de regarder cette situation à travers le prisme des Voix de la Paix, et de nous demander : quelles sont nos valeurs, finalement ? Sans jouer les directeurs de conscience, les oracles ou les redresseurs de tort, en quoi ces valeurs inclinent-elles à une certaine approche de situation politique présente ?
La crise du Covid 19 a révélé, par défaut et par l’absurde, combien le lien social était la richesse première de nos sociétés. Ce lien constitue le socle de nos activités économiques, le catalyseur du sentiment d’identité et d’appartenance à la nation, la source de notre capacité politique à nous projeter vers l’avenir et à imaginer un destin commun. Si cette base vient à manquer, manque alors la matière première de toutes nos élévations, de nos engagements envers les institutions, qui expriment en retour le sens de notre existence collective. Tout le monde en conviendra : le lien social entre tous, dans une société diversifiée, n’est certainement pas l’horizon premier des mouvement extrémistes, obsédés au contraire à distinguer, et en fin de compte à opposer des portions différentes de la communauté nationale. Les réseaux sociaux, qui consistent à créer du buzz en permanence autour de ces fausses oppositions, ne font que renforcer ces visées divisionnaires.
Ces divisions, la gauche extrême cherche à les promouvoir au nom de la lutte des classes et de toute une artillerie d’outils intersectionnels, wokistes où ce qui fut jadis une nation se trouve accusée, sans nuance, d’entretenir les pires préjugés systémiques. La manière dont LFI a importé, dans une élection d’intérêt européen, le conflit Hamas et Israël pour mieux fantasmer sur un vote communautariste, flirtant avec l’antisémitisme sur le dos des français juifs, en dit long sur l’idéal de paix sociale qui anime leur projet. Du côté de la droite extrême, et même si la rhétorique ne cesse de s’adoucir en période électorale pour ne pas effrayer, c’est bien sur la division fondamentale entre français dits « de souche » et les autres que se joue le ressort du Rassemblement national, théorisant une notion extraordinairement étroite de la « nationalité française, [de] l’identité française, [du] patrimoine français ».
L’idéal de paix sociale, issu des Lumières et des promesses de l’Etat-nation, passait par l’universalisme. Dans une dynamique à trois pointes – égalité pour tous, socialisation de tous, universalité de chacun – l’inspiration et la dynamique de l’universel se sont incarnées par des luttes, des programmes et un récit collectif s’attachant à concrétiser l’idéal d’une « société bonne », où une citoyenneté et une solidarité sans discriminations seraient porteurs de justice sociale. Or les extrêmes, pour faire simple, surfent sur le désir de radicalité de notre temps et, jouant sur les fausses opposition des « purs » et des « vendus », du peuple et des élites, des « nous » et des « eux », préfèrent remiser cet idéal global de la paix sociale, trop peu « sexy » en termes de buzz, pour s’atteler explicitement à détruire les idéaux politiques issus de l’universalisme des Lumières.
A l’aune de ces valeurs, la situation est grave. La version optimiste du chaos qui s’installe, c’est la clarification souhaitée par le Président de la République. La version réaliste nous force à constater que de nombreux acteurs politiques ou économiques perdent le fil de la raison et de la cohérence des valeurs, affolés par un désir de radicalité, de renverser la table, ou plus prosaïquement par l’odeur du pouvoir qu’ils pensent à portée de main moyennement quelques petits renoncements.
Que reste-t-il ? Il n’est jamais l’heure de désespérer. Les Voix de la Paix, on l’aura compris, ne font pas dans la consigne ; elles soulignent seulement que les extrêmes, par essence, nous préparent une forme de guerre civile permanente. Mais entre les extrêmes existent bien des couleurs, et c’est leur voix qu’il faut susciter, réveiller, chercher à unir. Pour que la paix continue d’être le socle de toute la richesse que notre civilisation française, diverse et unique, sait produire.