PERSPECTIVES ACTUELLES

Le Religieux sonne toujours deux fois...

· 2016

Appelons de nos vœux, pour ce 21ème siècle, la création de structures médiatrices. Médiatrices, pour organiser la rencontre entre société civile et instances de l'Etat autour d'un thème qui n'a pas encore atteint sa maturité en France, la spiritualité.

Mode islamique chez les grandes marques, controverse autour d'un menu halal exigé à l'Elysée pour une visite du président Rohani prévue en novembre 2015, Hijab Day à Science-Po, plus de doute : le problème théologico-politique est de retour. La modernité, gauche en tête, pensaient l'avoir évacué, mais il revient aujourd'hui avec une force qui ne s'explique que par la violence du refoulé. Le "problème théologico-politique", donc. Mais de quoi s'agit-il exactement ?

La "vérité" est-elle soluble dans la société ?

La question, métaphysique et politique, se pose encore à nous aujourd'hui : comment réguler une société à l'aide de principes vrais ? Longtemps, la réponse fut que les vérités nous parviennent d'une sphère au-delà de l'humain. Cet au-delà, les Anciens l'appelaient "cosmos", les médiévaux "transcendance", mais peu importe, l'idée est là : on ne donne de "valeur", de "sens" au monde qu'en y appliquant des principes dont la vérité se situe au-delà de nous. Le "sens", on ne le crée pas, avant tout on le reçoit.

Or, dès le 18ème siècle, la Modernité a déclaré la question hors-jeu, pensant éradiquer du même coup l'influence des religions. Alors, pourquoi sommes-nous si désemparés face au retour du religieux, qui notamment par le biais de l'islam, cherche à s'imposer dans l'agenda quotidien comme une évidence ?

Il suffit de regarder le projet-même de la modernité. Toute entière dédiée à son projet de domination de la nature, elle coupe le cordon entre les cieux et la terre, puis elle remplace le dispositif théologico-politique par le contrat social. Principe : l'individu s'y déleste de certains droits pour en gagner davantage en devenant citoyen d'une Nation, entité supérieure seule pourvue de souveraineté.

Système magnifique qui, pendant deux siècles, nous a donné l'autonomie, l'individu, la liberté, la fin des arbitraires monarchiques, l'égalité citoyenne et last but not least, l'idéal d'une émancipation pour tous par la connaissance.

Mais alors, où est le problème ? C'est le réel qui nous le dicte ; 2015 et déjà 2016 nous en montrent les symptômes : ce modèle de la modernité politique est à bout de souffle.

Le vide de la modernité ou le retour en force du religieux

Le problème de la modernité, c'est qu'en supprimant toute référence à un "extérieur" de la seule sphère politique, elle ne met rien d'autre à disposition que du présent. Un présent permanent, hostile à tout "antérieur" constituant (identité, filiations, histoire). Le seul moyen pour se "donner du sens" dans un tel système, prendre de la distance face au réel en l'absence de toute transcendance, c'est finalement de se prendre soi-même pour cible ! Nous avons donc adopté pour régime la boulimie d'auto-critique -- où le citoyen ne retrouve toujours... que lui-même ! Cette fatigue de nous-mêmes dont nos sociétés témoignent aujourd'hui, n'a pas d'autre source.

Autre signe, d'impuissance celui-là : nos sociétés sont désormais la cible d'attaques commises au nom de ce que nous pensions avoir précisément refoulé : la religion. Dans sa nudité, le mot fait encore peur en France. Mais qu'on l'habille de tous les cache-sexes sociologiques que l'on voudra, ces attaques témoignent de la façon la plus crue d'un retour du théologico-politique. Pour notre malheur, bien loin des grands philosophes qui l'ont illustré, c'est sa pire version -- nullement une nécessité - qui fait intrusion violente dans nos sociétés.

Comment redonner une place au spirituel dans notre modernité ?

Que faire ? Il est hors de question de renoncer aux si beaux fruits de notre modernité politique, car cet héritage des Lumières, de la liberté et de la connaissance est encore le nôtre. Mais sans doute est-il question de faire émerger de nouvelles structures politiques, d'imaginer les institutions de demain où, sans transiger sur la laïcité, l'individu puisse rêver spirituellement plus large que de défendre le seul pré carré de ses droits formels, droits toujours plus catégoriels, toujours moins tournés vers la loyauté citoyenne.

Appelons de nos vœux, pour ce 21ème siècle, la création de structures médiatrices. Médiatrices, pour organiser la rencontre entre société civile et instances de l'Etat autour d'un thème qui n'a pas encore atteint sa maturité en France, la spiritualité. Elles ne pourront d'ailleurs le faire que si elles veillent scrupuleusement à proposer des plateformes "inter-convictionnelles", mêlant acteurs religieux et non religieux. Médiatrices également dans le rôle qu'elles pourraient jouer sur le terrain. Si l'enjeu est de s'adresser à des segments de population parfois éloignés, ou rebelles à l'autorité publique, leur rôle serait de faire remonter l'expression des identités -- de plus en plus souvent captées par le seul prisme de l'identité religieuse, vers la notion plus large de citoyenneté.

Ajoutons enfin que les spiritualités, les religions en particulier, lesquelles font volontiers profession de se soucier de "l'autre", devront s'illustrer, pour être entendues de la société, par leur capacité à donner aux femmes toute la place qui leur revient au sein de leurs hiérarchies.

Le retour du problème théologico-politique n'est pas une malédiction. Sachons le reconnaître, le nommer, le capitaliser par les structures médiatrices adéquates. A cet aune, il nous offre une occasion de nous réveiller, de nous remettre à chercher les bons coagulants pour réenchanter le peuple français.

/ 09-05-16 /

Mes articles pour le Huffington post – lien général : https://www.huffingtonpost.fr/author/yann-boissiere

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