PERSPECTIVES ACTUELLES

Yann Boissière : « Le rachat des captifs est central dans l’histoire du judaïsme »

· 2023

Près de 150 Israéliens restent otages du Hamas, deux jours après la sanglante offensive lancée samedi 7 octobre par le groupe terroriste. Président de l’association Les Voix de la paix prônant le dialogue interconvictionnel, le rabbin libéral Yann Boissière (1) décrypte l’importance de la vie sur terre dans la tradition juive.

Yann Boissière : « Le rachat des captifs est central dans l’histoire du judaïsme »

Le rabbin Yann Boissière décrypte l’importance du verset « Tu choisiras la vie » (Dt 30, 19) dans la tradition juive.ABBA RICHMAN / STOCK ADOBE

La Croix: En quoi le verset « Tu choisiras la vie » (Dt, 30 :19) revêt-il une importance particulière dans la tradition juive, et comment le lire à la lumière de la dernière guerre?

Yann Boissière: Tiré du Deutéronome - le cinquième livre de la Torah -, ce verset est central dans le judaïsme. Pour restituer plus précisément son contexte, il nous dit: « [...] j’ai placé devant toi la vie et la mort, tu choisiras la vie pour que toi et tes enfants vivent » (Dt, 30 :19). Choisir la vie peut paraître évident, et pourtant cela n’est pas si simple - la résurgence des attaques terroristes en témoigne bien. C’est un passage biblique extrêmement réaliste, dont la grande nouveauté réside dans le fait qu’il pose la vie comme un choix moral. Le choix de la vie est une valeur fondamentale dans le judaïsme, peut- être la plus grande... A tel point que le shabbat - jour de repos hebdomadaire, durant lequel il est interdit de travailler selon nos prescriptions religieuses - peut être transgressé dans le cas où il s’agirait de sauver une vie.

Quant à la relecture de ce passage de la Torah dans le contexte de l’offensive du Hamas, il paraît toujours difficile d’aller chercher un verset à valeur universelle, spirituelle, et de l’opposer à la réalité du monde humain - en l’occurrence, ici, à la sauvagerie dont nous venons d’être témoins. Des enfants, des vieillards ont été pris pour cibles... Nous avons été confrontés ici à une négation totale de la vie. La difficulté, dans ce cas, est de répondre à l’agression sans tomber à son tour dans la sauvagerie. Nous ne sommes jamais à l’abri que les choses puissent déraper, mais Tsahal [l’armée israélienne, NDLR] a développé un véritable code éthique pour discerner la meilleure manière d’agir dans ces situations.

Q : Plus d’une centaine d’Israéliens sont encore retenus en otages par le Hamas... Comment cette captivité est-elle regardée, appréhendée dans la société israélienne?

Y.B.: C’est en effet un autre aspect majeur, à mon sens, de la situation présente, qui va avoir un impact sur le développement des prochaines opérations militaires. Il y a, au sein de l’État hébreu, une volonté absolue de récupérer ceux qui ont été capturés vivants. Le rachat de captifs a toujours été central dans la tradition juive, et dans la société israélienne. Le peuple juif a été confronté de tous temps à des kidnappings, comme lors des croisades... La vie humaine est considérée comme sacrée, il faut tout mettre en œuvre pour la récupérer. Cela se manifeste aussi sur le terrain pour les combattants morts: on va alors absolument chercher à récupérer les corps pour les enterrer. Cela témoigne d’une vision éthique très forte.

Q :Sur les réseaux sociaux, des voix s’élèvent, selon un discours éculé, pour dénoncer le fait que la vie d’un palestinien n’aurait pas la même valeur que celle d’un israélien...

Y.B.: Les différentes escalades verbales de ces derniers jours sont indignes, prévisibles et abjectes. D’un point de vue éthique, toute vie humaine se vaut évidemment. A un degré d’analyse plus politique, il est totalement erroné et scandaleux de placer sur le même plan une organisation terroriste comme le Hamas, tuant de manière indiscriminée, et le gouvernement israélien , élu démocratiquement dans état de droit qui fonctionne selon des règles politiques.

Q : Sur la question de la réponse à l’offensive, la Torah légitime-t-elle toutefois la violence humaine à certaines conditions ?

Y.B.: Je n’emploierais pas ici le terme de « légitimer », trop fort. Mais la Bible, encore une fois, est un livre très réaliste qui reconnaît que la violence est au cœur de l’homme... La Torah veut avant tout magnifier la vie humaine - il suffit de relire ici plusieurs de ses grands versets, plaçant la vie au coeur de la conscience religieuse : « tu aimeras ton prochain comme toi-même », « tu ne tueras point », « celui qui détruit une vie détruit l’humanité, et celui qui sauve une vie sauve l’humanité » ... - , mais il est vrai qu’elle reconnaît aussi le droit à la légitime défense. Elle affirme qu’il faut se défendre, de manière proportionnée, lorsqu’on est attaqués.

Q : Quels ressorts spirituels peuvent encore aider, selon vous, à apaiser aujourd’hui la situation? La Tradition juive conçoit-elle notamment une vie dans l’au-delà?

Y.B.: Au-delà de tout ce dont nous venons de parler, il faut encourager une solidarité très concrète, en se tenant au côté des victimes. Quant aux familles déchirées par les drames, peut-être faut-il rappeler ici que les rites du judaïsme permettent d’accompagner, d’organiser la prise en charge de la douleur des survivants en les aidant à faire leur deuil. Concernant la question d’une vie dans l’au-delà, il y a bien, dans la tradition juive, cette affirmation que tout ne disparaît pas à la mort de l’homme. L’âme est censée retourner vers son Créateur : cette croyance, qui n’est pas partagée par tout le

monde, peut aider certains. Mais il y a surtout une insistance dans le judaïsme sur le fait que c’est avant tout au niveau cette vie, notre vie terrestre qu’il faut agir, en étant vertueux, et en aimant son prochain ici et maintenant.

Malo Tresca (La Croix)

  • Recueilli par Malo Tresca, 
  • le 09/10/2023 à 18:42
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