Dans la parashah de cette semaine, la parashah Yitro, un homme, non juif, entend les merveilles que Dieu a faites en faveur d’Israël. Ces merveilles, il les crédite au mérite d’Israël, et cela lui donne le désir d’être proche du peuple, et même de le rejoindre.
Dans l’actualité de cette semaine, en France, en 2015, une entreprise passe une petite annonce qui indique « non juif de préférence ». Notons au passage que l’habituelle inégalité d’accès au travail entre hommes et femmes, ici, n’a plus cours. L’annonce précise bien « non juif (juive) de préférence ». Dans l’actualité, l’antisémitisme n’est pas sexiste…
Dans la parashah, Israël en apprend un peu plus sur sa vocation propre en écoutant les conseils d’un étranger, d’un idolâtre. Oui dans la parashah on devient meilleur en acceptant la parole improbable, celle qui vient de loin, et l’on manifeste sa reconnaissance en se nommant non de son propre nom, Moïse, mais du nom de l’autre, Yitro.
Dans l’actualité, Marceline Loridan-Ivens, rescapée d’Auschwitz-Birkenau, raconte que dans les classes de l’école publique, lorsqu’elle projette son film sur la Shoah, certains élèves, dans le noir, couvrent la bande-son par des claquements de doigts continus. Lorsque la lumière se rallume, et qu’elle propose un dialogue, y compris à ces rebelles de l’ombre et de la lâcheté, personne ne répond.
Dans l’actualité, des hommes qui pensent que les « livres apprennent la désobéissance de Dieu » ont brûlé plus de deux-mille ouvrages dans la grande bibliothèque de Mossoul. Efficacité de la folie et de la haine : il a suffi d’une demi-douzaine de pick-up pour emporter et brûler des millénaires de culture. Des livres pour enfants, de la poésie, de la philosophie, de vieilles cartes ottomanes, et aussi toutes les collections privées amoureusement déposées au fil des siècles par les vénérables familles de Mossoul.
Dans la parashah de cette semaine, en revanche, Dieu nous donne un livre. Ou plutôt : il se livre aux hommes sous la forme d’un livre. Ce qui veut dire deux choses : d’une part la révolution du savoir. Les hommes ne sont plus déterminés par leur naissance et leur rang social, mais par leur égalité devant le texte, leur droit à lire Dieu selon leur propre interprétation. Deuxième point : la modestie et la sagesse de Dieu. On comprend du Sinaï que Dieu n’est pas assez fou pour se donner aux hommes de manière visible. La théophanie ne fait pas dans le voyeurisme divin. Dieu ne se donne pas en spectacle, mais il se donne à lire. Bonne lecture…
Dans la parashah, Yitro prononce pour la première fois l’expression « barukh Adonaï » (« Béni soit l’Eternel »), et c’est de ce verset, pour la tradition, que provient l’obligation de dire une bénédiction à l’occasion d’un miracle.
Dans la réalité, nous ne croyons pas aux miracles. Mais nous croyons à la bénédiction. Nous croyons à la bénédiction de la fraternité, à la bénédiction de la clairvoyance qui sait voir le mal, le nommer, et le combattre ensemble, aux côtés des hommes de bonne volonté, ceux qui croient aussi à la bénédiction, et dont l’action commune, finalement, peut peut-être bien faire des miracles…
Alors, mon Dieu, puisque dans la parashah tu nous donnes la Torah, est-ce que dans l’actualité nous sommes encore capables de l’entendre ?
Puisque dans la parashah, dans la tradition, il est dit que chaque jour une voix sort du Mont Sinaï, est-ce qu’il nous est permis d’énoncer à nouveau tes dix paroles, de les interpréter telles qu’elles sortent aujourd’hui, pour nous, telles que nous les comprenons ?
(1) Je suis l'Éternel, ton Dieu, qui fera tout pour que tu restes dans le pays de France, dans une maison de liberté, d’égalité et de fraternité.
(2) Tu n'auras point d'autre Dieu que moi. Tu ne te feras point d'idole, mais tu pourras faire des images caricaturées, spirituelles et pertinentes de ce qui est en haut dans le ciel, ou qui parfois exprime la bassesse sur la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, mais tu en partageras les lumières avec tes semblables, car je poursuis l’amour des pères sur les enfants jusqu'à la millième et la deux-millième génération. Et pour ceux qui m'offensent ? Je dénie à quiconque le droit de dire à ma place ce qui m’offense.
(3) Tu n'invoqueras point le nom de l'Éternel ton Dieu à l'appui du mensonge. Entendons-nous bien : tu ne l’invoqueras pas non plus à l’appui du crime.
(4) Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier. Durant six jours tu travailles pour toi, pour ton entreprise, pour une cause, peut-être pour une bonne raison. Mais le septième jour est la trêve de l'Éternel ton Dieu : et si ce jour tu ne faisais rien, pour rien ? Pour voir. Pour se voir, enfin. Et pour lire un peu, puisque Dieu nous a donné de la lecture…
(5) Honore tes parents, et aussi tes sœurs et tes frères humains, afin que tes jours se prolongent dans la société de liberté, d’égalité, fraternité, que l'Éternel ton Dieu t’a demandé de bâtir.
(6) Tu n’assassineras point. Point final.
(7) Tu ne commettras point d’infidélité, autrement dit tu seras fidèle à ta différence. Je suis différent, tu es différent, tout le monde est différent. La différence est ce que nous avons en commun. La différence, ça se partage.
(8) Tu ne voleras point. Tu ne laisseras personne te voler tes petits bonheurs, et ce rude bonheur d’être juif, en France, te voler ton avenir, et celui de tes enfants. Cet avenir, ne l’invente pas ailleurs, défends-le ici.
(9) Ne rends point contre ton prochain un faux témoignage. Parle de ce que tu connais, ne dis pas du mal des autres religions, en pensant que cela suffit pour nommer le problème. Sois intraitable, en revanche, envers ceux qui se croient porteurs du texte, et qui défendent l’innommable au nom du texte.
(10) Ne convoite pas la maison de ton prochain. Enfin si, convoites-la, mais comme un modèle d’invitation, une invitation que tu pourras lui rendre, à la maison, en dehors de la maison, parce que comme le proclame ce beau verset écris au mur de notre synagogue (à Surmelin), « Ma maison sera la maison de toutes les nations » !
Voilà, mon Dieu, et dans la parashah et dans l’actualité, tes dix paroles sont les nôtres. Enfin, puisque Yitro vient du mot « yeter », qui veut dire « supplémentaire », j’en ajouterai bien une onzième. Un commandement dont le Sage Hillel avait dit qu’il résumait tous les autres. Ce onzième commandement, c’est « tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l’Eternel. »
Hillel ajoutait : « Tout le reste n’est que commentaire. »
Et il ajoutait encore : « Va, et étudie ».
Shabbat shalom.
Vendredi 6 février 2015