Chers présidents de JeM, cher trésorier, chers fidèles,
J’apprécie beaucoup votre communauté. Vraiment. Vos activités, je les trouve selon mon cœur, vos membres sont magnifiques d’ouverture et de conviction. Quant à vos rabbins, ma foi, ils ne sont pas mauvais.
Sachez bien que depuis 5781 ans je renouvelle ma cotisation ! En temps et en heure. Chaque premier jour de tishri, au 12ème top du Yom tov, hallelouyah, j’assure ma part de contrat ! Je vous délivre toujours ma shanah tovah, rubis sur l’ongle, je veux dire, Torah sur Sinaï ! Question émounah, « fidélité », je ne vous ai jamais fait défaut.
Cette année 5782, pourtant, je dois vous l’avouer, j’hésite à renouveler ma cotisation.
Ô certes vous savez y faire ! Vos rappels de cotisation sont un modèle du genre, et vous y mettez les formes ! Offices en streaming, Casino de Paris, synagogues et sélihoth à tout va, on ne peut pas dire, vos supplications et vos louanges sont impeccables, et vos robes plus blanches que blanches ! Vous me donnez du « votre père », du « Avinou » par ci, du « notre roi », du « Malkénou » par-là, et cela fait maintenant 5781 ans que vous me couronnez, immanquablement, « roi du monde » !
Je n’y suis pas insensible, je l’avoue, mais ai-je vraiment le choix, moi ?
Et si je veux faire une pause dans ma cotisation ? Comprenez-moi bien, je ne vais pas vous demander un tarif « talmid », je veux dire un tarif étudiant, ou demander à échelonner – je sais que l’éternité, c’est long, surtout vers la fin…
Simplement, je m’interroge sur le sens de mon engagement. Comme je vous le disais, du « mélekh ha-olam » et du « qadosh qadosh qadosh » toute la journée, ça flatte à l’endroit du trône divin, mais par moment j’ai l’impression que cette élection, trop universelle pour être honnête, se fait un peu en pilote automatique. Qu’en réalité vous me placez le shofar sous la gorge : moi je vous renouvelle ma Création, et hop, ensuite vous continuez vos petites activités comme d’habitude…
« Mitsvot as usual », comme vous dites…
Moi je veux bien sortir mon chéquier, enfin je veux dire mon Sefer, et même mon Sefer ha-hayyim, mais avant de vous signer une téshouva en blanc, j’aimerais tout de même vous poser une question : cette nouvelle création, qu’allez-vous en faire ? Changer le monde, moi ça ne me pose pas de problème. Mais vous : êtes-vous réellement prêts à changer vous-même ?
Sans vouloir être désagréable, rien que cette année, j’aimerais vous rappeler que votre terre, que je vous avais demandé au jardin d’Eden d’entretenir et de garder, brûle sous vos pieds, largement par le fait de vos activités, que la mauvaise foi inonde vos réseaux soi-disant « sociaux », et qu’après m’avoir rejoué le brexit d’Egypte, voici revenu le pharaon de Kaboul, sans parler des mille plaies du terrorisme, de la haine, du racisme, de la défiance, de la violence, et de l’antisémitisme…
Et vous me parlez de changer ? Je vais vous dire ce que j’ai sur le coeur : j’ai pris un énorme risque le jour où je vous ai créé. Mais je ne suis plus très sûr de l’investissement…
Vous vous souvenez du Midrash ? Il dit, comme ça : « Rabbi Shimon enseigne : lorsque le Saint Béni soit-Il entreprit de créer le premier homme, les anges du service se groupèrent en clans. Certains disaient : « Qu’il soit créé », d’autres disaient : Qu’il ne le soit pas ». Selon le verset : « La bonté et la vérité se sont rencontrées, la charité et la paix se sont embrassées ». La bonté disait : « Qu’il soit créé, car il est porté à la compassion », tandis que la vérité disait : « Qu’il ne le soit pas, car il n’est que mensonge ». La charité disait : « Qu’il soit créé, car il est capable de générosité », tandis que la paix disait : « Qu’il ne le soit pas, car il n’est que discorde ». Qu’a fait le Saint béni soit-Il ? (Oui c’est comme cela que les rabbins m’appellent, ils me trouvent toujours des noms impossibles) … pendant que les anges du service jugeaient et contestaient entre eux, le Seigneur a créé l’homme. Ensuite, il leur a dit : » Qu’avez-vous encore à délibérer ? Déjà a été fait l’homme dans le dessein qui est nôtre, et selon la ressemblance nôtre (Midrash Rabbah sur Gen. I, 26). »
C’est vrai que je ne les supportais plus trop, les anges. Je déteste ceux qui vous sortent les grands principes pour mieux s’en exonérer soi-même, qui font « hatati » et battent leur coulpe sur la poitrine des autres. Le problème des anges c’est qu’ils sont parfaits : incapables de bienveillance et de compassion.
C’est pour ça que je vous ai créé, les hommes. Dans mon esprit vous étiez mieux que parfaits : vous étiez perfectibles. Alors bon sang, pourquoi vous n’utilisez pas votre droit de réponse, votre droit de téshouva ?
Je vais vous raconter une histoire. Comme je n’ai pas beaucoup d’imagination, je vais me contenter de citer l’un de vos rabbins – il faut que je vous dise, les rabbins, ils n’arrêtent pas de me trouver plus intelligent que je ne suis, ils racontent toutes sortes d’histoire sur la manière dont j’ai créé le monde, ça en devient gênant !!!
Enfin voilà. L’histoire est celle de Reb Shlomo, qui un jour, donne une bonne leçon à un petit garçon.
Au Shtetel de Plitzkov, il y avait un petit garçon qui adorait raconter tout un tas d’histoires à propos de ses amis. Parfois les histoires étaient vraies, mais la plupart du temps elles étaient mensongères. Le voisinage en était peiné, tant et si bien qu’un jour il décide un jour d’aller voir Reb Shlomo pour un conseil. Celui-ci fait venir le garçon chez lui et lui demande : « Pourquoi tu inventes toutes ces histoires à propos de tes amis ? »
« C’est juste des paroles en l’air » réplique le jeune garçon. « Je peux toujours les reprendre et en changer ».
« Tu as peut-être raison » reprit Reb Shlomo. Ils se mirent alors à parler d’autres choses, mais avant que le garçon ne le quitte, le rabbin lui demande : « Tu ferais quelque chose pour moi ? ».
« Bien sûr » répondit l’enfant.
Le rabbin prit un oreiller sur le lit dans la pièce et le tendit au gamin. « Prend cet oreiller et emmène-le jusqu’au square. Arrivé là-bas, déchire-le en deux et secoue- le vigoureusement de façon à ce que toutes les plumes se dispersent. Ensuite, reviens me voir. »
Le garçon était perplexe, mais il fit exactement comme le rabbin lui avait demandé. Il emporta l’oreiller au square, et le déchira ; une brise légère dispersa toutes les plumes dans les rues du village. Il revint ensuite chez Reb Shlomo pour lui rendre compte.
Celui-ci semblait satisfait. Il tendit alors un panier à l’enfant et lui dit : « Maintenant s’il te plaît, retourne au square et ramasse toutes les plumes pour les remettre dans l’oreiller. »
« Mais c’est impossible ! » s’écria le garçon.
« Tu as raison » fit Reb Shlomo. « Tu vois, de la même façon, il est impossible de reprendre tous les mensonges que tu as dits à propos de tes amis. Fais attention avec les paroles que tu répands. Une fois qu’on les a prononcées, on ne peut plus les reprendre et les rassembler à nouveau… »
Vous pensez, chers amis les hommes, qu’il s’agit d’une histoire de vérité ? Certes, mais je dirais, moi : aussi une histoire d’intériorité.
Pour vous les hommes, les choses ne sont pas graves quand vous les prenez de l’extérieur, dans leur extériorité. Même quand les événements sont dramatiques, vous vous placez toujours dans le domaine des conséquences. Vous tentez de gérer.
Mais quand l’oreiller est éventré, que l’intérieur se révèle à l’extérieur, alors là c’est la panique. Vous ne pouvez plus vous cantonner à l’extérieur des choses. Et surtout, c’est de votre intériorité qu’il s’agit.
Un sentiment de grand désarroi vous envahit alors. Et je vous comprends… Combien de drames avez-vous connus, personnellement, et à combien de drames avez-vous assisté, devant votre télévision, cette année ? Sachez que je connais, que je compte les millions de personnes concernés, les malades, les morts, les orphelins, les déracinés, les dévastations physiques et les problèmes psychologiques, les dépressions, qui ne sont bien évidemment plus l’objet d’aucune gros titres. Sachez que j’entends vos cris, les cris de l’humanité devenus silencieux, ceux qui ont quitté l’actualité mais dont les conséquences, désormais enfouies dans le désespoir ou la résilience, continuent de vibrer chaque jour, sur cinq ans, dix, 20 ans, toute une vie… La maison brûle, chaque jour, mais la terre pleure aussi, depuis beaucoup plus longtemps. Toute cette souffrance incorporée aux anciennes, devenue invisible, elle est simplement devenu votre monde.
J’ai souvenir d’un de mes bons interprètes, Martin Buber, qui au siècle dernier, posait la question essentielle : comment l’homme du 20ème siècle, après les ébranlements qui l’ont bouleversé avec une brutalité inouïe, peut-il espérer affronter à nouveau la réalité ? Comment l’affronter de telle manière qu’il puisse encore y découvrir en sens ? Un sens qui vous libère des impasses de la culpabilité secrète, de l’impuissance déguisée en volontarisme, un sens qui vous permette tout simplement d’être ? Quelque chose qui fonde votre existence humaine face aux périls qui menacent de tout emporter ?
Alors je vous demande d’avoir confiance.
Le courage de la confiance.
A Rosh ha-Shanah, vous examinez vos actes. Vous pensez avoir inscrit votre volonté dans le monde, votre petite chaîne d’événements avec ses guirlandes de conséquences. Vous pensez que vos actions ont donné du sens au monde, qu’elles ont donné ses couleurs.
Ce n’est pas faux.
Mais à Rosh ha-Shanah je vous demande davantage.
Je vous demande l’intérieur de l’oreiller. Je ne vous demande pas de ramasser les plumes. Je vous demande de retrouver votre moi profond.
Et je vous demande d’avoir confiance, car je sais que vous n’êtes pas totalement convaincus par l’idée du lien profond entre ce que vous appelez le monde extérieur, celui où vous aimez agir, et la nécessité de vous tourner vers vous-mêmes.
A Rosh ha-Shanah je veux que vous retrouviez votre âme.
Alors, mes chères créatures, quand vous serez lassés de ne pas écouter le souffle que j’ai déposé en vous,
De faire semblant d’être les athlètes de visions qui ne sont pas les vôtres,
Quand vous serez fatigués de ne jamais en rabattre sur un seul de vos désirs,
Quand vous saurez qu’il est bon de se diminuer pour faire une place à l’autre, non en poussant quelqu’un d’autre, mais en prenant sur soi,
Alors oui, je reconnaîtrai le souffle de mon prophète Isaïe. Vous vous souvenez ? Il y a bien longtemps, il fustigeait vos sacrifices quand vous continuiez de terrasser le pauvre, la veuve et l’orphelin. Je saurai, quand vous aurez renoncé à me brandir vos CV gorgés de coups d’éclat, je saurai que vous êtes prêts à prendre sérieusement le chemin de votre âme, le chemin qui écoute et qui agit, qui agit parce qu’il écoute. Alors, votre âme, cette petite plume qui volète en toute liberté dans son azur intime, dans la conscience de sa source, je veillerai à en favoriser toutes les expressions, et à lui donner tout son impact dans le monde.
Bon, pour ma cotisation…
Voilà ce que je vous propose. Je vous laisse réfléchir, et on fait un point teshouva dans dix jours ? Je vois où vous en êtes à Kippour, on se parle à Yizqor et je vous donne ma réponse à Neïla ?
Sermon Rosh ha-Shanah 5782